Soutenance de thèse de Daniel Migairou
15 décembre 202314h - 18h
Cnam de Paris / Bâtiment INETOP
41 rue Gay-Lussac 75005 Paris
Salle 79
Daniel MIGAIROU soutient sa thèse en Philosophie
•
Poïétique de la parole ouverte. Actualité de la médiation singulière comme clinique de l’être-sujet au travail
sous la direction de M. Éric HAMRAOUI, Maître de conférences HDR en philosophie (CNAM)
Thèse effectuée dans le cadre d'une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) avec l'Association nationale de la recherche et de la technologie, le Centre de recherche sur le travail et le développement du Cnam et le Cabinet Interstices Médiation.
Jury
- Mme Corinne GAUDART, Directrice de recherche au CNRS-LISE et ergonome : Présidente
- M. Stéphane HABER, Professeur de philosophie, Université Paris Nanterre : Rapporteur
- M. Thomas PÉRILLEUX, Professeur de sociologie, Université catholique de Louvain : Rapporteur
- Mme Dorothée LEGRAND, Chargée de recherche en philosophie, CNRS-ENS Archives Husserl : Examinatrice
- Mme Muriel PRÉVOT-CARPENTIER, Maîtresse de conférences en ergonomie, Université Paris 8 : Examinatrice
- M. Pierre MARIE, Psychanalyste : Invité
- Mme Laure VEIRIER, Directrice associée du cabinet Interstices Médiation : Invitée
Résumé de thèse
Poïétique de la parole ouverte. Actualité de la médiation singulière comme clinique de l’être-sujet au travail. – À partir de la pratique clinique de médiation singulière, et en prenant principalement appui sur des travaux de philosophie contemporaine, cette thèse se propose de faire un état des lieux des effets du discours de la performance sur la parole du sujet au travail, de repérer les déterminations d’une crise mutique paradoxale de la dimension d’être-sujet, et d’identifier les ressorts inventifs propres à la parole singulière. En effet, les mutations récentes du travail apparaissent comme étant à la fois cautionnées et amplifiées par le développement d’un nouveau type de discours, le discours de la performance, qui conditionne la parole des personnes au travail en malmenant leur dimension de sujet. Les demandes d’accompagnement professionnel, dont le nombre va croissant, s’énoncent depuis ce discours auquel elles adhèrent et dont elles révèlent l’emprise sur l’usage actuel de la parole. La médiation singulière est une pratique d’accompagnement professionnel atypique, qui vise à faire place à la dimension de sujet en créant les conditions de possibilité d’une réarticulation entre travail et parole. Cette pratique, qui peut être située épistémologiquement entre analyse du travail et de l’activité, philosophie et psychanalyse, constitue le terrain et le paysage de cette recherche. La demande y est considérée dans ses multiples déterminations paradigmatiques dont un repérage fin permet de suspendre toute évidence d’y répondre. La notion d’individu apparaît tout à la fois comme la contre-face de la demande et son horizon, se substituant à la dimension d’être-sujet alors reléguée. Toutefois, l’emprise de ce discours sur la parole peut être renversée en séance à partir de la non-réponse à la demande, et selon trois principes. Le premier est la place faite au corps sensible dans l’acte de parole, là où est attendu au travail un corps désensibilisé, chosifié, exploité. Le deuxième est l’institution du sujet, ramenant à la loi des êtres de langage, une loi donnant et reconnaissant une place à l’être parlant en dehors de toute autre condition. Le troisième est le principe d’inadéquation, comme alternative à l’injonction de maîtrise et de contrôle consubstantielle au discours de la performance, qui imprime son ordre en donnant l’illusion qu’il est privé de toute alternative. Ces trois principes peuvent concourir en séance à une subversion de ce discours. Pour cela, le praticien en médiation singulière occupe, dans le dispositif qu’il met en place et conduit, une position de tiers-vide-instituant, par laquelle il crée et maintient une disparité qui détonne et déconcerte, permettant l’instauration d’un lieu faisant place à l’écart et au différent. Il soutient la possibilité du manque, veille à l’ouverture propre à l’acte de dire, coupe dans les continuités reconstituées, accueille ce qui émerge et surprend. Il met en œuvre un savoir praxique, un savoir qui s’élabore par des allers-retours entre pratique et théorisation. C’est à cette condition que la position de tiers-vide-instituant est tenable et agissante, qu’elle permet l’émergence d’une inventivité articulée au singulier. Cet inventif singulier est le fait de l’être parlant, c’est-à-dire d’un être qui consent à passer par la parole, à faire de la parole ce par quoi se tisse une relation singulière à soi, à l’autre et au monde. Cette relation passe par l’habitation de l’ici et l’engagement dans les accès qu’elle autorise. Elle s’inscrit dans le rythme et la temporalité contrapuntiques d’une parole pensante. Elle repose sur l’exigence d’une tiercéité suffisamment tierce. Enfin, le politique et le psychique, qui étaient maintenus hors-champ par le discours de la performance, peuvent être réintégrés à l’échelle de l’acte de parole qui articule alors la singularité de l’être-sujet à un désir de faire-monde.
Mots clés : Médiation singulière, tiercéité, être-sujet, institution, inadéquation, inventivité
Summary
Poetics of open speech. The actuality of singular mediation as a clinic of the subject-being at work. – Based on the clinical practice of singular mediation, and drawing mainly on works of contemporary philosophy, this thesis sets out to take stock of the effects of the discourse of performance on the speech of the subject at work, to identify the determinations of a paradoxical mutic crisis of the dimension of subject-being, and to identify the inventive springs specific to singular speech. Indeed, recent changes in the world of work appear to have been both endorsed and amplified by the development of a new type of discourse – the discourse of performance – which conditions people's speech at work by mistreating their dimension as subjects. The growing number of requests for professional support are based on this discourse, to which they adhere and whose hold they reveal on the current use of speech. Singular mediation is an atypical professional support practice, which aims to make room for the subject dimension by creating the conditions of possibility for a re-articulation between work and speech. This practice, which can be epistemologically situated between analysis of work and activity, philosophy and psychoanalysis, forms the terrain and landscape of the research undertaken for this thesis. The demand is considered in its multiple paradigmatic determinations whose fine-tuned identification makes it possible to suspend all obvious possibilities of response. The notion of the individual appears both as the counter-face of demand and as its horizon, replacing the dimension of subject-being, which is then relegated. However, the hold of this discourse on speech can be reversed in the session, starting from the non-response to the request, and according to three principles. The first is the place given to the sensitive body in the speech act, where a desensitized, reified, exploited body is expected at work. The second is the institution of the subject, bringing back to the law of beings of language, a law giving and recognizing a place for the speaking being outside any other condition. The third is the principle of inadequacy, as an alternative to the injunction of mastery and control consubstantial with the discourse of performance, which imposes its order by giving the illusion that it is deprived of any alternative. These three principles can work together to subvert this discourse. To this end, the practitioner of singular mediation occupies, in the set-up and running of the session, a position of emptiness-instituting third party, by which he creates and maintains a disparity that is unsettling and disconcerting, enabling the establishment of a space that makes room for the other. It supports the possibility of lack, ensures the openness inherent in the act of saying, cuts into reconstituted continuities, and welcomes what emerges and surprises. It implements a praxis-based knowledge, a knowledge that is developed by going back and forth between practice and theorization. It's only in this way that the position of emptiness-instituting third party is tenable and effective, allowing the emergence of an inventiveness based on the singular. This singular inventive gesture is the work of the speaking being, i.e., a being who agrees to pass through speech, to make speech the means by which a singular relationship to oneself, to the other and to the world is woven. This relationship involves dwelling in the here and engaging in the accesses it authorizes. It is inscribed in the contrapuntal rhythm and temporality of a thinking word. It rests on the requirement of the tiercéité having a sufficiently third-party status. Finally, the political and the psychic, which were kept out of the spotlight by the discourse of performance, can be reintegrated into the scale of the speech act, which then articulates the singularity of subject-being to a desire for world-making.
Keywords: singular mediation, tiercéité, subject-being, institution, inadequacy, inventiveness
15 décembre 202314h - 18h
Cnam de Paris / Bâtiment INETOP
41 rue Gay-Lussac 75005 Paris
Salle 79
voir le site du CRTD |